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Une vie rêvée

Publié le par aulivia

(Voici un texte écrit pour un challenge entre amis! le thème: Nuit glaciale...)

 

Laurène est assise sur un des bancs face à l’aire de jeux. Comme tous les soirs après son travail, elle passe par le parc qui la sépare de son appartement et comme à chaque fois, elle prend quelques instants pour regarder les enfants jouer. Les petits garçons sont assez téméraires et n’hésitent pas à grimper les marches du jeu à toute allure pour pouvoir descendre le toboggan tête la première. Les petites filles sont plus posées, elles montent les mêmes marches mais prennent le temps de s’asseoir et de faire coucou aux adultes avant de descendre à leurs tours. Certaines jouent assises au bord du bac à sable ou marchent dans l’herbe le regard fixé au sol à la recherche de fleurs ou de petits trésors à glisser dans leurs poches. Chaque jour qui passe, Laurène les regarde, et se demande comment sa vie aurait été si elle avait eu des enfants. Bien évidemment, il aurait fallu pour cela qu’elle trouve l’homme, le bon ; qu’ils se construisent une vie à deux, aient des projets et des envies en commun. Serait ensuite venu le temps de créer une famille avec deux voire trois enfants. Ils auraient par la suite grandi et construit leurs propres vies.

Mais aujourd’hui à 42 ans, Laurène a fait une croix sur cette vie rêvée. Elle n’a pas rencontré son prince. Elle est célibataire depuis longtemps, trop longtemps maintenant pour espérer rencontrer quelqu’un. Elle a d’ailleurs pris ses petites habitudes et sa vie bien monotone s’écoule tristement. Elle reste là sur son banc, alors qu’au fur et à mesure les enfants accompagnés de leurs parents délaissent le toboggan et les balançoires pour retourner à leurs occupations. Mais ce soir,  elle n’arrive pas à partir. Elle a ce besoin impérieux de rester là à attendre, quoi, même elle ne le sait pas. Cela fait maintenant deux bonnes heures qu’il n’’y a plus personne dans le square. La nuit tombe rapidement et la chaleur de la journée s’évapore pour laisser place à la fraicheur de la nuit. Laurène ne saurait dire pourquoi mais elle a besoin de rester encore un instant sur ce banc. Comme si quelque chose pouvait se passer. Mais rien ne se passe. Les bruits de la nuit ont remplacé les cris des enfants qui jouaient auparavant. Un hibou perché sur une branche appelle ses congénères. Le vent souffle dans les branches et fait crisser l’herbe. Le parc qui paraissait si vivant et si accueillant   auparavant a pris un tout autre visage. Mais Laurène n’est pas inquiète, elle est là pour quelque chose. Elle ressert son manteau contre son cou pour éviter que le vent ne s’engouffre et elle écoute les sons qui l’entourent. Son instinct, elle l’a toujours suivi et ce soir, il lui dit que c’est ici qu’elle doit être et nulle part ailleurs.

Cela fait maintenant plus de deux heures que Laurène est assise sur ce banc sans bouger, attentive au moindre son,  son regard cherchant un indice dans l’ombre. C’est alors qu’un vieil homme apparait de derrière les balançoires. Sorti d’on ne sait où, il avance s’aidant d’une canne, directement vers la femme. Celle-ci n’a pas peur, elle sait qu’il va se passer quelque chose d’important maintenant et c’est cette personne qui s’approche si lentement d’elle qui est en est la clé. Lorsqu’il n’est plus qu’à un mètre d’elle, Laurène constate, que l’homme est encore plus âgé qu’il n’y parait, ses rides sont tellement profondes et nombreuses, que son visage ressemble à un vieux parchemin décrépi. Ses vêtements semblent tout droit  sortis d’une autre époque. Une grande veste faite dans une toile épaisse ressemblant à de la jute rase le sol et donne au vieillard une impression de flottement. Il est tellement ratatiné sur sa canne, qu’il semble porter le poids du monde sur ses épaules. La lumière du réverbère situé à l’extrémité de l’aire de jeux se reflète dans son regard. Et ce sont des yeux de jeune homme qui la regarde. L’homme sourit et se racle la gorge. Lorsqu’il se met à parler, c’est d’une voix sourde et caverneuse.

-          Laurène, tu as donc senti ton destin et tu es restée ici à m’attendre. Tu as eu raison, ce soir la chance va te sourire mais il va falloir que tu me prouves à quel point tu as envie de réaliser ton rêve. Le vieillard reprend sa respiration et continue son monologue. Depuis plusieurs années, je te vois ici à regarder les enfants des autres avec beaucoup de bienveillance et encore plus de tristesse. Toi aussi tu aurais aimé avoir un enfant et lui donner tout cet amour qui te remplit le cœur. Je te propose un marché ce soir mais ce soir uniquement. Il faudra que tu sois capable d’aller au-delà de tes limites pour pouvoir avoir ce dont tu rêves.

-          Mais que me proposez-vous, je ne vous comprends pas, répond Laurène inquiète.

-          Si tu réussis à faire ce que je te demande, je t’offre une nouvelle vie. Tu souhaites avoir un enfant à choyer, je te propose de t’en donner un. Ton enfant, celui que tu aurais pu avoir si la vie en avait décidé autrement. Mais tu vas devoir rester ici dans ce parc, toute la nuit durant et me prouver que quoiqu’il se passe, tu feras en sorte de faire passer le bien-être de ton fils avant tout.

-          Je ne comprends pas, mais qui êtes-vous ? demande Laurène.

-          Je  suis ton bienfaiteur. Je te demande juste de veiller sur ton fils, pendant toute cette nuit  et demain dès que le jour sera levé, il sera à toi et tu pourras construire ta vie avec lui. Si toutefois tu décides de sortir de cet endroit, de passer les grilles avec l’enfant, il disparaitra et tu ne le reverras jamais. C’est la seule condition que je t’impose. Maintenant prouve-moi que tu mérites le cadeau que je te fais.

Laurène cligne des yeux mais le vieil homme a disparu. A-t-elle rêvé ? Elle ne saurait le dire. L’homme paraissait si réel. Elle est toujours en train de penser à l’instant précèdent lorsqu’elle entend un bruit près du toboggan. Un enfant pleure, elle en est maintenant sûre. Elle se lève d’un bond et  court les quelques mètres qui la sépare du jeu en bois. Au pied de celui-ci, elle découvre une petite forme recroquevillée dans un linge blanc. Elle n’en croit pas ses yeux. La jeune femme tombe accroupie dans le sable et prend délicatement le bord du tissu pour le soulever et découvrir ce qu’il cache. Le visage d’un bébé apparait. L’enfant la regarde droit dans les yeux et lui sourit. Laurène reconnait alors son fils, l’enfant dont elle rêve depuis si longtemps. IL est exactement comme elle l’imaginait, un visage d’ange encadré de belles boucles brunes. Elle reste interdite devant cette apparition, elle ne sait pas si elle doit y croire ou si elle est juste en train de rêver. Elle reste là assise ses genoux repliés sous elle, face à ce petit garçon qui la regarde attentivement. Elle repense alors à ce que lui a dit le vieil homme quelques instants plus tôt. Et comprend le marché qu’il lui a imposé. Elle va devoir rester ici avec cet enfant, son fils, pendant toute la nuit alors que le froid c’est levé et qu’il annonce une nuit glaciale. L’enfant est juste couverte de ce drap de coton, il ne porte rien d’autre que ça. L’horreur lui fait face. Il faut qu’elle fasse tout son possible pour le protéger du froid pendant toute la nuit pour pouvoir le garder avec elle toute sa vie. Une nuit seule dehors, elle le pourrait, mais là, la vie de son fils dépend de sa volonté et de ses capacités à le maintenir au chaud. Laurène regarde sa montre et constate avec consternation qu’il n’est que 23h. Cela veut dire qu’il va falloir qu’elle reste environ 9h dans ce parc avec ce tout petit bébé. Elle-même a déjà froid et la température est sans aucun doute sous la barre des 5°C.

La femme prend son courage à deux mains et prend délicatement l’enfant dans ses bras. Il faut qu’elle le tienne au chaud et l’empêche de se refroidir. La peur lui cisaille déjà le ventre, elle a peur pour lui, pour sa vie, elle veut faire au mieux mais c’est la première fois qu’elle doit s’occuper d’un si petit être qui est complètement dépendant d’elle. Laurène a toujours suivi son instinct et elle compte bien sur lui pour que cette nuit passe au plus vite et sans encombre. Elle se relève le plus doucement possible ayant l’impression de tenir un objet extrêmement fragile dans ses bras. Elle le pose tout contre elle. Le bambin se blottit alors contre son torse et Laurène sent l’odeur de son fils pour la première fois. C’est comme si une flèche venait de lui transpercer le cœur. Cette odeur, elle l’attendait depuis toujours. Elle a l’impression de respirer un air neuf, comme si ses poumons se mettaient en marche seulement maintenant. L’enfant relève la tête et plonge son regard dans le sien. Ses yeux sourient comme s’ils la connaissaient depuis toujours. Elle ne peut s’empêcher de sourire en retour. Laurène penche la tête et pose fébrilement  ses lèvres sur la tête de l’enfant. Elle ose à peine esquisser un baiser. Elle a tellement peur que cet instant s’évanouisse et qu’elle stoppe le rêve le plus merveilleux qu’elle n’ait jamais fait. Mais le petit garçon est toujours là, dans ses bras.

Un coup de vent la rappelle, à l’ordre. Il faut qu’elle le protège toute la nuit durant. Le meilleur moyen de le garder au chaud est de le mettre au plus près d’elle. Laurène ouvre sa veste qui lui parait si légère maintenant.  Elle constate qu’elle ne porte qu’un léger débardeur et un pull en laine en plus son manteau. Elle se dirige vers le banc sur lequel elle est restée assise pendant toute la soirée. Elle fait très attention où elle marche et freine chacun de ses pas, de peur de trébucher ou de faire un faux mouvement qui pourrait faire tomber son fils chéri de ses bras. Elle le serre fort contre elle d’une main et frictionne son dos de l’autre. Elle s’assoit sur le banc et pose l’enfant sur ses genoux. Elle l’emmaillote dans le linge blanc du mieux qu’elle peut. Pour qu’il reste bien au chaud, elle se décide à mettre l’enfant tout contre elle sous son débardeur et son pull. Elle tire sur ses deux vêtements pour passer l’enfant en dessous. Elle se sent un peu gauche et a peur de lui faire mal. Elle prend donc son temps pour l’installer au mieux. Lorsqu’elle sent la chaleur du petit être contre son ventre et ses seins, elle enlève délicatement son blouson pour l’enfiler à l’envers. Elle passe ses bras dans les manches de sorte que le dos de son manteau constitue une couche supplémentaire pour protéger le bébé. Le col de sa veste remonte haut. Du coup l’air chaud qu’elle expire se diffuse sous le blouson, et réchauffe encore un peu plus le cocon qu’elle a construit pour son fils. Elle se lève et se met en marche, il va falloir qu’elle marche un maximum pour qu’elle n’ait pas froid durant cette longue nuit.

Laurène marche depuis un long moment, l’enfant est bien au chaud contre elle et dort paisiblement. Elle vérifie régulièrement qu’il n’ait pas, froid. Elle le touche délicatement et ose même parfois déposer un baiser sur son front. Elle a déjà tellement peur pour lui, elle ne veut pas le perdre. Elle ne s’en remettrait pas. Son cœur se briserait, elle le sent. Elle a fait le tour du parc mais s’est tenue éloignée des grilles qui la séparent de l’extérieur. Pour se donner du courage, elle lui raconte sa vie, leurs vies. De temps en temps, elle lui chante une chanson de son enfance.  Laurène ne ressent même pas le froid, elle est galvanisée par sa mission et par l’échéance. D’ici quelques heures et si ce n’est pas un rêve, elle aura un fils rien qu’à elle.

Le thermomètre est descendu sous la barre de zéro cette nuit-là. Mais elle n’a pas flanché. Ce n’était juste pas possible. Lorsque l’aurore s’est enfin levée, elle a attendu de voir le soleil pour sortir du parc avec son précieux cadeau serré contre elle. Le bébé avait dormi toute la nuit, comme pour ne pas rajouter de travail à sa maman. Laurène se souvenait encore du moment où elle avait passé les grilles du square la peur au ventre. Elle avait ce petit être blotti contre elle lorsqu’elle avait ce dernier pas qui la propulsait sur le béton de la rue. Elle avait dû arrêter de respirer aussi, pendant un instant.

Laurène est assise sur le banc qu’elle avait occupé pendant de nombreuses soirées ces dernières années mais aujourd’hui elle revit car le petit garçon qui descend le toboggan tête la première c’est son fils, son cadeau reçu durant une nuit glaciale.

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