- On peut se promener si tu veux ! lui proposa Driss.
- Euh, oui ! Si tu veux… répondit Julie heureuse de pouvoir gagner du temps.
Driss avait insisté pour payer le dîner et l’avait aidé à enfiler sa veste. Un vrai gentleman, loin de l’image qu’elle avait pu se forger de lui depuis son arrivée dans l’immeuble. Délicatement, il lui prit la main, Julie appréciait l’instant mais était tout de même un peu perdue, elle ne savait pas trop ce qu’ils étaient l’un pour l’autre, et si elle avait eu plus de courage, elle lui aurait posé la question de but en blanc. Mais souhaitait-elle franchement connaître la réponse ? Et lui donnerait-il une réponse franche et honnête ou ferait-il en sorte de la ménager pour parvenir plus facilement à ses fins. Ils marchèrent ainsi quelques instants sans se dire un mot, l’une réfléchissant à bâtons rompus tandis que l’autre à priori profitait tout simplement de ce moment agréable. Mais Julie voulait en savoir plus, savoir à qui elle avait à faire, ce qu’il attendait d’elle et ce qu’elle pouvait attendre de lui. Elle osa se lancer, non sans mal.
- Je peux te poser une question, lui dit-elle tentant de cacher l’hésitation dans sa voix.
- Si tu veux me demander de t’épouser, je trouve que tu vas un peu vite ! Je ne suis pas un homme facile, lui répondit Driss, fier de sa blague.
Julie lui tira la langue, il sourit, ravi de l’effet. Il avait toujours le mot pour rire et avec lui elle se sentait détendue, elle n’avait pas besoin de faire semblant.
- Non, je te rassure. Je veux juste savoir ce que tu attends de moi !
Voilà elle avait lâché le morceau et elle espérait qu’il jouerait franc jeu et ne mentirait pas.
- Ce que j’attends de toi ! Répéta Driss. Il paraissait surpris d’une telle question. Eh bien, je ne sais pas. Tu me plais et à priori si tu as accepté l’invitation, je te plais un peu aussi. Donc pourquoi ne pas profiter des moments que l’on peut passer ensemble et voir ce qu’il adviendra.
- Mmmhhh, Julie ne savait pas si elle arriverait à se satisfaire de cette réponse. Mais tu te rends bien compte que nous sommes voisins donc que cela peut être compliqué à gérer, si toutefois tu souhaitais ramener….
- Ramener d’autres filles chez moi ! C’est ça que tu te demandes. Driss s’arrêta et se planta face à Julie, il la regardait droit dans les yeux. Si je suis l’homme d’une seule femme ou si je vais profiter de la situation, t’avoir sous la main pour me faire le repas de temps en temps et tirer un coup au besoin et à chaque rencontre aller chez la fille plutôt que chez moi pour ne pas que tu l‘apprennes.
Aïe, ça faisait mal de prendre cette vérité en pleine face et d’entendre tout haut ce que l’on pense tout bas. Julie ne trouvait pas de mot, elle hocha la tête en guise de réponse. Driss fit la moue et soupira.
- Même si la situation peut paraître trompeuse, je ne suis pas ce genre d’homme. Je suis l’homme d’une seule femme et dernièrement j‘étais plutôt l’homme d’une seule nuit. Je ne vais pas m’en plaindre mais avec toi j’ai envie de plus, plusieurs nuits, des dîners, des déjeuners, tu sais tous ces trucs de couple vachement cucul.
Il lui sourit. C’était à son tour d’être gêné, il attendait que Julie réponde quelque chose.
- Et si tu ne dis pas un truc tout de suite, je pense que je vais me sentir vraiment mal à l’aise… annonça Driss qui se tassait de plus en plus sur lui-même.
- Je ne sais pas quoi te dire, je suis surprise surtout, répondit Julie qui voulait être franche. Si on profitait simplement de l’instant.
La jeune femme sentait bien que Driss avait joué franc jeu et elle ne voulait pas le repousser, il lui plaisait après tout et elle avait passé une soirée agréable. Sûre d’elle, Julie se hissa sur la pointe des pieds et colla ses lèvres sur les siennes.
- Allez viens, je te paye un verre, il doit bien y voir un bar sympa dans le coin dit-elle en saisissant la main de Driss qui la suivit trainant les pieds sur le trottoir.
(crédit photo: ladepeche.fr)
A priori, il n’était pas satisfait par la réponse qu’elle avait pu lui donner. Ils marchèrent côte à côte, se tenant la main, Julie sentant bien que Driss était un peu en retrait, il avait perdu de sa superbe. Elle se rapprocha et se colla à lui, le prenant par la taille. Elle n’avait pas voulu le blesser mais pour elle, la situation était compliquée, elle ne savait pas vraiment si elle pouvait lui faire confiance et si elle souhaitait se lancer dans une relation durable. Julie tenta de faire redémarrer la conversation en le questionnant sur son travail, sur comment il en était arrivé là mais il n’y avait rien à faire, Driss boudait. Tel un enfant, il ne décrochait pas un mot, juste des onomatopées en réponses à ses multiples questions. Julie n’était pas habitué à ce genre de réaction, Rodolphe avait plutôt tendance à hurler tout du moins durant les premières années, ensuite il était passé à autre chose. C’est là que Julie comprit. C’est son passé qui faisait obstacle à son présent et à son futur, et la jeune femme ne voulait pas surtout tomber dans ce travers, comparer son ex avec les hommes qu’elle rencontrerait à l’avenir et cacher pourquoi elle pouvait parfois être distante. Elle serra la main de Driss un peu plus fort, il était différent de Rodolphe, et c’est ce qu’elle aimait chez lui. Elle voulait qu’il comprenne pourquoi sa réponse avait été si évasive, que cela n’était pas de sa faute à lui mais plutôt à elle.
- Driss, s’il te plait, ne prends pas mal ce que je t’ai dit, ce n‘est pas à cause de toi, dit Julie un brin de tristesse dans la voix. C’est juste que c’est tout nouveau pour moi. Je sors d’une relation longue et je ne pensais pas rencontrer quelqu’un si rapidement. Bon, je voudrais te dire quelque chose mais je serais plus à l’aise pour le faire chez moi, ça ne t’ennuie pas si on rentre.
- Me dire quoi, demanda-t-il sur la défensive.
- Te parler de mon passé, pourquoi je suis là et surtout pourquoi je veux profiter de l’instant.
- Tu parais bien sérieuse, tout d’un coup, dit Driss la regardant maintenant droit dans les yeux.
- Parce que si l’on veut construire quelque chose tous les deux, il faut que je sois franche avec toi, comme tu as été franc ce soir avec moi.
Julie ne pensait pas qu’elle déballerait sa vie et son passé si rapidement à Driss. Elle pensait avoir le temps.
- Très bien rentrons, lui dit le jeune homme un peu ragaillardi.
Tout le long du chemin qui les ramenait à leur immeuble, Julie sentait une boule se former au creux de son ventre, elle avait peur, peur de ce qu’elle allait dire et de comment Driss allait réagir. Il la prendrait sans doute en pitié et son attitude changerait forcément. Ils étaient si près que cela de chez eux, quelques centaines de mètres et ils étaient déjà en bas de l’immeuble. Ils passèrent la porte main dans la main et Julie ne lâcha Driss que pour chercher ses clés dans le fond de son sac. Elle déverrouilla la porte et s’effaça pour laisser entrer le jeune homme.
Ils posèrent leurs vestes sur le dossier du canapé et Julie fila en cuisine afin de leur préparer un café, un prétexte pour gagner du temps. Driss resta debout, dans le salon, ne sachant pas ce que Julie allait lui annoncer, il préférait garder une certaine distance.
- Assieds-toi ! Tu me stresses à faire le piquet dans mon salon, dit Julie en passant la tête dans l’encadrement de la porte de la cuisine.
Driss lui sourit mais le cœur n’y était pas. Lorsque Julie revint avec les tasses à café, il était distant, assis à l’extrémité du canapé.
Voilà, elle y était, elle ne pouvait plus reculer.