8° La fin d'une époque
Fatima leur avait préparé un plat de pâtes à la sauce bolognaise avec des boulettes de viande qu’elle avait confectionnées elle-même à partir de steaks hachés et d’épices que Julie avait dans sa cuisine. Elle tint la discussion durant le repas, passant d’un sujet à un autre, évitant à Julie de trop se dévoiler, et à Monsieur Georges de continuer à parler boulot ! Si elle voulait que son amie tienne la distance, il fallait qu’elle pense à autre chose durant le repas, elle avait assimilé tellement d’informations plus ou moins importantes durant la matinée. Fatima ne voyait pas pourquoi il était si important que Julie nettoie les poubelles tous les premiers vendredis de chaque mois ! Elle ferait bien comme elle l’entendait. Elle savait qu’elle s’en sortirait, et puis même, prendre des décisions et des initiatives, c’est de ça dont elle avait besoin ! L’homme assit face à elle connaissait le passé de Julie et savait par quoi elle était passé avant d’arriver ici. Il ne devait pas poser de questions et n’en avait pas envie à priori. A la différence de beaucoup, il ne paraissait pas curieux, il lui donnait l’image bien différente du stéréotype et de l’image que Fatima avait en tête concernant les concierges. Rien que le titre en lui-même n’était pas flatteur, une fois de plus, il fallait tordre le cou aux idées reçus. Tous les concierges n’étaient pas curieux comme des pies, à l’affut de la moindre information sur ces concitoyens. Monsieur Georges souhaitait par-dessus tout que l’immeuble soit entretenu et que locataires ainsi que les propriétaires soient satisfaits du service. D’où venait Julie et ce qu’elle avait fait avant il s’en fichait. Voilà pourquoi Fatima appréciait cet homme.
Fatima voyait Julie avec des yeux neufs, comme si une nuit dans un nouvel environnement ainsi qu’une nouvelle coupe de cheveux dont elle était très fière soit dit en passant, faisait d’elle une femme toute neuve, prête à affronter une vie différente, plus agréable sans aucun doute. Elle se rappelait encore la première fois qu’elle avait vu la jeune femme. C’était plus de six mois auparavant. Fatima avait reçu un appel d’un ami, lui demandant de passer car il avait quelqu’un qui aurait sans doute besoin de ses services. Ni une ni deux, elle avait stoppé la paperasse qu’elle remplissait pour se rendre là-bas au plus vite. Arrivée devant le commissariat de quartier, Fatima avait de suite su qu’il s’agissait de la jeune femme qui descendait les escaliers à quelques mètres d’elle. Le lieutenant qui enregistrait les plaintes et les mains courantes avait pris l’habitude de l’appeler lorsqu’une femme battue venait pour la première fois porter plainte. Les trois quarts des plaintes étaient souvent retirées par la victime dans les 24h à 48h suivantes, lorsque l’agresseur apprenait qu’il allait être convoqué. Elle était passée par là des années auparavant. Aujourd’hui, par le biais de son association d’aides aux femmes battues, Fatima faisait tout son possible pour les protéger de leurs agresseurs et les aider à s’échapper afin de commencer une nouvelle vie. Elle faisait en sorte que la rencontre soit fortuite, elle mettait des mots sur leur mal-être, elle parlait de son passé trop souvent similaire et les mettait en confiance. Il fallait que l’idée vienne d’elles, ne pas leur donner l’impression de trahir l’être aimé. Il en avait été de même pour Julie. Fatima l’avait accosté à l’entrée du commissariat faisant comme-ci elle ne voyait pas ses traces sur son visage camouflé par de grandes lunettes ainsi que sa main qui se portait régulièrement à ses côtes, prouvant la force des coups donnés. Elle avait insisté pour prendre le numéro de la jeune femme et l’avait recontacté le lendemain, prétextant une visite dans le quartier. Elle passait la voir régulièrement, lui envoyait des messages ou l’appelait pour voir où elle en était, si l’autre avait recommencé. (Il recommençait toujours, elle le savait mais parfois et par chance cela pouvait prendre du temps. Malheureusement pour sa dernière protégée, l’homme était lâche et avait pris goût aux brimades et aux coups. Elle l’avait donc prise sous son aile, l’avait protégée du mieux qu’elle avait pu.
Et lorsque Julie s’était sentie prête, Fatima lui avait proposé une solution radicale. Julie n’était pas mariée, elle vivait juste en concubinage, elle pouvait donc partir du jour au lendemain. La jeune femme ne s’en sentait pas capable, il aurait fallu qu’elle trouve un appartement, un travail, elle n’avait pas d’argent et ne se voyait surtout pas en demander à ses parents car il aurait fallu qu’elle leur explique ce qui se passait dans son couple. Et comme beaucoup, elle avait honte. Fatima lui avait alors expliqué le rôle de l’association, des moyens mis en œuvre pour l’aider. Trois semaines plus tard, tout était mis en place, un appartement avec un poste de concierge dans un immeuble du centre-ville, un nouveau compte bancaire, un nouveau téléphone sur liste rouge, et enfin le déménagement prévu et organisé pour que tout soit fait dans la journée. Tout était pris en charge par l’association. Julie n’aurait pas d’argent à débourser dans un premier temps. Fatima l’avait rassurée, elle n’en était pas à son coup d’essai, d’ailleurs d’autres femmes seraient là le jour J pour l’aider, des femmes qui avaient vécu la même situation et qui ne la jugeraient pas. Dès ce jour, Julie avait fait preuve de beaucoup de détermination et de sang-froid. Fatima l’avait vu quasiment tous les jours et à aucun moment Julie n’avait laissé transparaitre son stress à l’idée de quitter Rodolphe. La veille, elle n’avait rien changé à ses habitudes, sans aucune fébrilité, comme tous ces autres jours routiniers et pour cela Fatima était épatée, fière ! Quelle surprise il avait dû avoir en rentrant ce soir-là, cet homme qui avait osé lever la main sur elle et la mettre plus bas que terre. Fatima aurait tellement aimé être là, pour voir son visage face à un appartement vide !