14° Egoïste

De: Rodolphe Wistmerer (rwistmerer@gmail.com)

A: Julie Perrin (perrin.july@yahoo.fr)

Sujet : Où es-tu ?

Julie,

Cela fait trois jours maintenant que tu as disparu, avec pour seul message ce ridicule post-it avec ton au revoir. Peux-tu juste me donner un numéro où je peux te contacter, parce qu’il faut que l’on discute. Tu as pris toutes les affaires mais tu as eu la décence de me laisser mes vêtements, posés à même le sol. Qu’est qui t’a pris et qui t’a mis cette idée dans la tête ? Ta mère pense que tu es rentrée dans une secte et que tu as vendu tous nos meubles pour leur donner de l’argent. J’avoue que je ne suis pas loin de penser la même chose.

D’ailleurs, ta mère est très inquiète, j’ai enfin réussi à les avoir, ils reviennent de vacances, j’espère que tu n’as pas fait ton égoïste et que tu as pris de leurs nouvelles. Ils ont passé de très bons moments dans les îles et quand ils rentrent, qu’est-ce qu’ils apprennent, que leur fille unique s’est enfuie comme une voleuse. Ils ont honte de toi, j’espère que tu n’es pas fière de ce que tu as fait ! Si tu avais entendu ta mère au bout du fil, se confondre en excuses ! bien évidemment, je l’ai rassuré lui disant qu’elle n’y était pour rien, ton père non plus d’ailleurs. Tu es la seule fautive ! Nous faire du mal à nous, TA famille.

Si tu reviens avec toutes mes affaires, je pourrais te pardonner et d’ici quelques années nous pourrons reparler mariage et enfants mais pour cela il faudra que tu suives une thérapie car ce que tu as fait n’est pas normal Julie ! J’ai toujours su que tu avais un problème et c’est pour cela que j’ai préféré te garder à la maison, pour ne pas que tu te fasses de mal et que tu arrêtes de te bercer d’illusions. Et voilà comment tu me remercies ! Tu as abusé de mon amour pour toi ! Je pourrais porter plainte contre toi, tu sais ! Mais je ne le ferais pas, si tu reviens !

Nous discuterons et peut-être j’arriverai à te faire revenir à la raison !

Rodolphe

                                 

Fatima lut le message et soupira. Il ne fallait surtout pas Julie tombe là-dessus, elle pourrait y croire et douter de ce qu’elle avait fait. La jeune femme appuya sur la touche « supprimer » de son clavier. Elle avait longuement discuté avec son amie les semaines précédant son déménagement et avait su trouver les mots pour la convaincre qu’il ne fallait surtout pas qu’elle ait le moindre contact avec Rodolphe. Fatima avait vécu une situation similaire et savait qu’il était facile de retomber dans ses anciens travers et pire, de croire les belles paroles que l’autre pouvait prononcer. Une promesse, des excuses, des larmes parfois, pour mieux nous faire douter, nous faire regretter et pourquoi pas faire marche arrière. Mais Fatima savait très bien que ce n’était pas la solution. Tellement plus facile, mais bien plus dangereux. Qui pouvait rêver d’une telle vie, faite de peurs et d’angoisses permanentes.

Fatima était perdue dans ses pensées, assise face à son ordinateur. Dans le couloir, elle entendait le bruit rassurant de femmes riant aux éclats. Elle sourit. L’association accueillait chaque jour des femmes ayant des difficultés et des bénévoles à leur écoute, il y avait des larmes et des pleurs, beaucoup, mais certains jours étaient comblés de rires et de joies pour son plus grand bonheur. Après plusieurs années en tant que bénévole pleinement investie, la présidente de l’association lui avait proposé un poste de chargée de mission. Elle aimait ce terme, car pour elle sauver des femmes battues c’était une mission !

Elle se leva de son siège pour aller chercher un café dans l’office. Il faudrait qu’elle annonce à Julie qu’elle avait reçu un mail de Rodolphe, car c’était le deal, Julie serait au courant mais ne le lirait pas.