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Papé

Publié le par aulivia1.over-blog.com

« La table est le seul endroit où l’on ne s’ennuie jamais la première heure ». C’est l’une des phrases que citait mon grand-père lorsque je le rejoignais dans sa cuisine. Pour mon aïeul, la cuisine était la pièce la plus importante de la maison, avant n’importe quel autre endroit. Quand il commençait à cuisiner, on ne pouvait plus l’arrêter que ce soit dans le temps ou sur le nombre de plats. Il fallait alors faire venir la famille et les voisins pour finir tout ce qu’il avait confectionné. Lorsque les invités s’installaient à table, ma grand-mère, ma mère et mes tantes commençaient un va-et-vient incessant entre la cuisine et la salle à manger. Elles revenaient chargées de plats tous plus appétissants les uns que les autres : des poissons et leurs farandoles de légumes, des viandes et leurs pommes de terre rissolées dans leurs jus et des desserts, une tonne de desserts. J’entends encore les ventres et les estomacs hurler de plaisir. Je regardais chaque personne savourer ces mets, des plus raffinés aux plus simples. Les femmes de la famille, se regardaient en souriant, complices et levaient les yeux au ciel. C’était à chaque fois la même chose !


Ce souvenir m’est revenu à l’esprit en un instant. Mon grand-père, je pense à lui tous les jours, malheureusement, étant parti à 500km de chez moi, je n’ai pas la possibilité d’aller le voir aussi souvent que j’en ai envie. Georges Franquet, un nom ordinaire pour un homme extraordinaire. Je ne connais pas grand-chose de son passé, j’étais trop petit puis trop adolescent et enfin trop loin pour en apprendre plus sur son histoire. Ce que je sais, c’est qu’il a toujours aimé cuisiner, et faire partager son amour de la cuisine à son entourage. C’est lui qui m’a transmis le virus et qui m’a permis de devenir ce que je suis aujourd’hui ; il m’a fait découvrir ce plaisir, cette passion. Lorsque je lui ai appris que je voulais devenir « cuisinier comme Papé », j’ai vu des larmes dans ses yeux. J’avais douze ans et des idées pleins la tête mais celle-ci prédominait. Il m’a alors raconté qu’il avait toujours souhaité devenir cuisinier, depuis sa plus tendre enfance, mais pour mes arrières grands-parents, ce n’était pas un métier pour un fils de mécanicien. Il a donc laissé mourir son rêve pour devenir mécanicien, comme son père.


Si je repense à lui maintenant, comme ça, c’est que je tiens encore mon portable à la main. Je viens de raccrocher. Et je ne réalise pas encore ce que ma mère vient de me dire. Mon grand-père, Georges Franquet, est mort ce matin. Il s’est éteint. « Éteint » ! Comment peut-on employer ce terme ? On éteint une lumière, mais on peut la rallumer. Papé, on ne le rallumera jamais. Sa flamme s’est éteinte !


Je n’y crois pas, plus d’un an sans le voir ! On remet toujours au lendemain, en se disant qu’on a le temps, qu’aux prochaines vacances, on prendra un week-end pour descendre voir la famille et profiter de l’après-midi pour passer boire un café et sortir en se disant qu’on a fait notre bonne action. On a vu le « Papé », on est tranquille pour au moins 6mois, voir plus. Mais le temps nous rattrape, on reprend notre vie et on repousse le week-end, au mois prochain, à l’année suivante. Maintenant c’est juste trop tard… Papé est mort !


Les jours qui suivent se ressemblent, je reprends le cours de ma vie, avec ces horaires décalés et mon poste de chef de cuisine qui m’occupent l’esprit. Mais Jeudi arrive déjà ! Me voilà devant l’église du village, toute la famille est là, on se serre dans les bras, ma mère et mes tantes pleurent et s’enlacent. Mes oncles, quant à eux, tentent de faire bonne figure. Et moi, je suis là, sans vraiment l’être. Certains parlent déjà de vider la maison, j’ai l’impression qu’ils cherchent à effacer son passage et ses souvenirs au plus vite. Il faudra vendre la maison rapidement, car selon un oncle, avec la crise, il va falloir faire attention au prix, il ne faut pas perdre de temps sinon nous perdrons de l’argent.


J’ai envie de leur dire le fond de ma pensée : j’ai honte ! Il est parti depuis seulement quatre jours et vous pensez déjà à l’argent que vous allez amasser en vendant ses biens, nos souvenirs. Mais je n’ai pas mon mot à dire ! Je sais bien que j’ai quitté le coin pour partir vivre ma passion dans une grande ville mais quand même, il s’agissait aussi de mon grand-père. Je rumine, je fulmine…


Je ne vois pas le temps passer. Durant la messe funéraire, j’ai repensé à ces instants passés avec lui, lorsque j’étais jeune et que je profitais de lui sans avoir honte de « trainer avec mon grand-père ».


« Lorsque tu seras un grand chef et que tu auras ton étoile au guide Michelin, je viendrai en stage dans ta cuisine et tu m’apprendras tout ce que tu sais. En échange, je te transmettrai toutes mes recettes, c’est mon bien le plus précieux. » Il tenait un cahier relié en cuir brun d’une centaine de pages, abîmé par les ouvertures et les lectures successives : Son livre de recettes. Celui que je posais sur mes genoux, lorsqu’il cuisinait. Je lui listais alors les ingrédients, même si je savais qu’il les connaissait par cœur. Il me demandait de relire les temps de cuisson, les thermostats et hochait la tête en signe d’approbation. Ensuite, il me laissait incorporer les ingrédients, un à un, en respectant l’ordre. Quand on réalisait un simple gâteau, il me demandait de goûter chaque étape pour que je puisse différencier les goûts et les saveurs. Je ferme les yeux, et sent encore le mélange des œufs et du sucre sur mon palais. Une sensation de douceur qui est complètement reliée à mon grand-père. Je savoure ces souvenirs comme on peut savourer un plat.


La journée se termine sur cette note triste, sur son départ. Je dors chez mes parents, dans ma chambre d’adolescent. Je dois rester pour la nuit car le lendemain toute la famille doit voir le notaire. Mon grand-père se savait vieux et avait laissé un testament. Je voulais repartir le jour-même pour reprendre le travail, ma vie et surtout oublier ce moment difficile, mais ma mère a insisté pour que je reste. Mon grand-père m’avait nommé dans le testament et souhaitait me léguer quelque chose.


Je dors d’un sommeil de plomb, sans rêve. Lorsque je me réveille, les images de l’enterrement sont gravées dans ma mémoire. La réalité me rattrape. Je ne reverrai plus jamais Papé. C’est un fait. Je me lève pour aller prendre ma douche et partager mon petit-déjeuner avec ma mère. Le rendez-vous est fixé à 10H chez le notaire. Dans l’office, nous retrouvons mes tantes, leurs maris et mes quelques cousins qui vivent encore dans le village. Le notaire nous fait passer dans son bureau et commence son explication.  Je n’écoute que d’une oreille, je suis pressé que cela finisse pour pouvoir passer à autre chose. Je n’ai pas besoin de récupérer son canapé ou sa lampe. Mes souvenirs sont les plus importants et je n’ai pas envie d’encombrer mon appartement avec des choses inutiles qui pourraient me rappeler mon grand-père.


Le notaire est en train de lire le testament, et j’entends alors mon prénom.

- Grégoire Franquet, mon petit-fils, tu m’as fait honneur en devenant cuisinier, ma passion depuis toujours. Je sais que ton métier te prend du temps et que tu ne viens pas aussi souvent que tu le voudrais. Te souviens-tu de tous ces moments passés tous les deux dans ma cuisine ? Tu es le seul à qui je puisse confier mon bien le plus précieux car je sais que tu en feras bon usage. Je te donne mon livre de recettes. Je sais qu’aujourd’hui tu dois être bien meilleur cuisinier que je ne l’aurais jamais été mais ce livre est un lien entre nous. Monsieur Joli va te confier une lettre. Prouve-moi que tu mérites ce livre en découvrant où je te l’ai laissé. Monsieur Joli se racla la gorge. Voilà le courrier que votre grand-père m’a demandé de vous transmettre. Je vais maintenant demander à chacun d’entre vous de signer ce document pour prouver votre présence à cette réunion et l’acceptation des biens légués par votre aïeul.


Mon grand-père m’avait légué son cahier de recettes. Je regarde alors la lettre et reconnais son écriture appliquée. Il a tracé un trait au crayon pour pouvoir écrire droit et les lettres de mon prénom et de mon nom sont légèrement courbées. Je la contemple et j’avoue que j’appréhende un peu son ouverture. Pourquoi a-t-il dit que je devais mériter son livre ? Qu’a-t-il bien pu écrire à l’intérieur ?


Je signe les documents du notaire et sort du bâtiment. Nous sommes en Septembre, il fait encore bon et je ne porte qu’une chemise blanche. Je vais m’asseoir sur un banc situé face à l’office notarial. Je regarde la lettre que je tiens dans mes mains. Je ne me résous pas à l’ouvrir. C’est le dernier message de mon grand-père et voir cette enveloppe me fait mal. Il ne sera plus là, je ne mangerai plus avec lui. Nous ne parlerons plus cuisine ensemble. Une larme coule le long de ma joue et tombe sur l’enveloppe. Mon regard se pose sur la tâche qui s’étend sur le papier. Ma main tremble quand je décachette l’enveloppe. Ma mère et mon père m’appellent au loin. Ils se rendent au domicile de mon grand-père et me proposent de les rejoindre dès que j’aurai fini. Ma mère a bien senti qu’il me fallait du temps seul. Je déplie le feuillet, la lettre est très courte et j’en suis déçu.


«  Mon cher Grégoire,

Je sais que si tu lis cette lettre, c’est que je ne suis plus là !

Ne t’en fais pas, et ne pleure pas sur mon sort, j’ai vécu une belle vie et aujourd’hui, il faut que tu vives la tienne. Saches que je suis fier de toi ! Je souhaite te transmettre mon livre de recettes mais il faut que tu me prouves que tu peux en être digne. Je vais donc te soumettre à un petit jeu de piste et on verra si tu trouveras mon trésor. Fais appel à tes souvenirs, tu vas en avoir besoin !

                                                                                              Je t’aime,

                                                                                                                      Papé ! 

Enigme 1 : Te souviens-tu de mon ingrédient secret qui rend mon bœuf bourguignon si différent ? Tu trouveras un message te guidant à mon cahier !»


Je prends une profonde inspiration, pour ne pas me remettre à pleurer. Je ferme les yeux un instant et nous revois dans sa cuisine. Il y a ma grand-mère qui écoute la radio dans la salle à manger en tricotant. Et moi, je suis là, assis sur ma chaise, je dois avoir dans les huit ans. Son livre est posé sur mes genoux, ouvert à la page du bœuf bourguignon. Le matin même, nous étions allés au marché pour prendre la viande chez le boucher ambulant. Les légumes venaient de son jardin. Mon grand-père sifflait un air sans queue ni tête et s’arrêtait de temps à autre pour me demander de relire la dernière ligne.


            - Sais-tu que le bœuf bourguignon a besoin d’un ingrédient inédit pour que l’on puisse sentir toutes les textures et les arômes ? Papé ouvre un tiroir et sort un pot transparent contenant du piment en poudre. Tu vois, avec une pincée de piment tu vas pouvoir sentir le goût de la viande et du vin. Ne le dis pas à Mamé, c’est un secret entre toi et moi ! Il se retourna et me fit un clin d’œil. Je ressens encore le goût de son bourguignon. A chaque fois que j’ai dû réaliser un bourguignon en tant que chef, j’ai suivi son conseil à la lettre et rajouté une pincée de piment. Ni plus ni moins.


Si j’ai bien compris son message, je dois retourner dans sa cuisine et je trouverai le prochain indice avec son pot de piment en poudre. Je me lève et décide de suivre la route sur les 2km pour me rendre chez lui et découvrir un indice me guidant à son livre.


Lorsque j’arrive aux abords de la maison, je prends le chemin qui longe la bâtisse pour me rendre directement dans son jardin. La maison est conçue de telle façon que l’on peut rejoindre la cuisine en passant par le potager. Avec un peu de chance, la porte est encore ouverte…Je jette un regard sur le jardin et tourne la poignée. La porte s’ouvre et tous mes souvenirs affluent à la surface.

Rien n’a changé, tout est comme dans mes souvenirs. La cuisine est simple et fonctionnelle, composée de meubles en bois massif, d’une grande table et d’une cuisinière à gaz. Je me dirige vers le tiroir où mon grand-père rangeait toutes ses épices. Je n’ai pas besoin de chercher très longtemps. Une simple feuille de papier est coincée avec un élastique autour du piment en poudre. Mon grand-père avait préparé ça depuis combien de temps ? Il est mort de vieillesse donc il ne savait pas quand son heure arriverait exactement. Pendant combien de jours ou de mois a-t-il laissé cet élastique et cette feuille à cet endroit ? Tant de questions qui resteront sans réponse.

J’enlève l’élastique et ouvre la feuille pliée en deux.


« Grégoire,

Tu t’es donc souvenu de mon ingrédient secret. Je t’en félicite. Tu as toujours été attentif lorsque nous cuisinions ensemble. Je vais encore faire appel à ta mémoire. Parviendras-tu à te souvenir quel légume j’utilise pour rendre ma purée maison plus onctueuse ?

                                                                                  Bonne chance ! Papé »


Combien d’énigmes Papé va-t-il encore me proposer afin que je retrouve son livre ?

Me voilà replongé dans mes souvenirs. Sa purée de pomme de terre, une bonne raison d’être malade ! Un rituel s’était instauré entre lui et moi, lorsque je tombais malade. A chaque fois, il me faisait sa purée maison accompagnée d’une tranche de jambon qu’il coupait en dé et mélangeait au reste. J’ai dû attendre d’avoir environ 12ans pour qu’il me révèle son secret. Ma mère avait beau faire de multiples tentatives, sa purée n’avait jamais le goût incomparable de celle de son père. Le jour où il m’a permis de découvrir cette recette, il m’a d’abord fait promettre de garder son secret. Si je dévoilais l’ingrédient, alors ma mère pourrait faire exactement la même et je ne passerais plus mes journées de convalescence chez mes grands-parents. Le jeu en valait la chandelle. L’ingrédient secret est pourtant si simple et son goût si reconnaissable quand on le sait.

Je me dirige d’un pas décidé vers le potager à la recherche de l’ingrédient secret. Arrivé devant le rang de légumes, je me demande où mon grand-père a bien pu déposer la nouvelle énigme ou son livre d’ailleurs. Mon regard survole le terrain, et je redécouvre son potager qu’il prenait tant de soins à cultiver. Chaque rang a en son extrémité, une pancarte en bois avec le nom du légume gravé. Les poireaux ne dérogent pas à la règle. Seulement, une pochette plastique retenue par un élastique est accroché à l’écriteau. Papé, comment as-tu pu croire que j’allais oublier cela ? Notre secret à tous les deux, la recette que j’utilise encore aujourd’hui pour épater mes amis. Maman ne sait toujours pas que ce qui donne un goût si inimitable à ta purée ! Alors qu’il s’agit juste d’un blanc de poireau !


Je retire le panneau de bois et prend la pochette contenant un autre message de mon grand-père.


« Grégoire,

Ne t’inquiète pas, je ne vais pas t’embêter trop longtemps avec mes devinettes. Je sais qu’il te tarde de rentrer chez toi et de retrouver ta vie. Si tu arrives à trouver la solution à cette dernière énigme alors tu auras entre les mains ce que je souhaite te léguer. Fais appel à ta mémoire ! Tu as du apprendre beaucoup de choses plus ou moins utiles lors de ta formation de chef. Mais moi je t’ai toujours dit que pour bien cuisiner, je n’aurais besoin que d’un seul instrument pour pouvoir réaliser la plupart de mes plats. Si tu trouves cet ustensile, tu trouveras mon livre.

                                                                                                          Papé »


Il m’a dit tant de choses durant mon enfance et mon adolescence. Chaque chose avait son importance mais l’on pouvait toujours faire sans ! Un bon cuisinier doit savoir faire avec les moyens du bord ! Mais quel ustensile était pour lui le plus important ? Je n’arrive pas à me souvenir. Je reprends la feuille de papier et relis son message une seconde fois. « Un seul instrument pour pouvoir réaliser la plupart de mes plats. » ça a l’air pourtant si simple. De toute façon, le seul endroit où je vais pouvoir trouver la solution, c’est sa cuisine. J’y verrai peut-être plus clair en y retournant. Je jette un dernier regard au potager qu’il a tant aimé, je sais bien que je ne le reverrai sans doute jamais. Ma famille va vider la maison et la vendre. La nostalgie m’étreint encore une fois. J’avance en direction de la maison, passe la porte et m’arrête un instant pour faire le tour de la pièce. Quel objet cela peut-il bien être ? J’ouvre les meubles au hasard, à la recherche de quelque chose qui pourrait me sauter aux yeux. Je m’assois sur ma chaise d’enfant et ressasse en accéléré, tous mes moments passés dans ce lieu avec lui. Nous avons fait des entrées, des plats et des desserts ensemble. Mais un instrument pour en faire la plupart ? Je ne vois pas. Je suis assis là, à me demander quel objet, mon grand-père souhaitait que je trouve, lorsque ma mère rentre dans la pièce.


-          Mon chéri, je me doutais que tu serais là, tu ne veux pas venir au salon avec nous, on parle de papé. Ma mère parle d’une voix douce. Sur son visage, je vois encore le sillon creusé par les larmes. Elle a l’air fatiguée, épuisée même.

-          Je te remercie mais j’ai encore envie de rester seul, un moment.

Ma mère prend des tasses à café dans le meuble et se retourne pour repartir au salon lorsque je lui demande :

-          Maman, te rappelles-tu quel ustensile de cuisine Papé semblait ne pas pouvoir se passer pour réaliser la plupart de ses plats ? Elle me regarde un instant, semble réfléchir.

-          Je dirais son fouet ! Ou non, sa cocotte en fonte. Il la sortait à chaque fois qu’il réalisait un plat et qu’il y avait du monde à la maison. Elle me sourit, et ses yeux se remplissent de larmes en repensant à son père. Elle pousse un soupir et repart en direction du salon.


La porte se referme doucement alors que je me mets à la recherche de sa cocotte en fonte. C’est vrai qu’il l’utilisait pour la quasi-totalité de ses plats. Pourquoi n’y avoir pas pensé plus tôt !


J’ouvre la porte du four et découvre le plat en question. Elle pèse plusieurs kilos et est élimée aux poignées. Je la dépose sur la table et prends un instant avant de soulever le couvercle. Je repense à tous les plats préparés par mon grand-père, à toutes ces odeurs, ces goûts et ces sensations. Pour mon grand-père, ce n’était pas le fait de manger qui lui plaisait tant mais le fait de cuisiner pour les autres et de découvrir leurs expressions lorsqu’ils goûtaient un de ses plats. Les invités, la famille et les amis se délectaient de chaque bouchée, les yeux fermés la plupart du temps. Et c’est ce moment qui était pour mon grand-père une véritable gourmandise : faire plaisir aux autres par le biais de sa cuisine.

Je dépose le couvercle de la cocotte, une odeur de plat en sauce est encore présente. Je découvre le livre de recettes; Son livre de recettes. Cependant, il me semble différent de celui de mes souvenirs. Le cuir qui sert de couverture est plus foncé et il m’a l’air moins épais. Je caresse un instant la couverture. Une partie de mon grand-père est là, dans cet ensemble de papier. Je prends le livre dans mes mains et l’ouvre.

Toutes les pages sont blanches. Il ne s’agit pas là de son livre de recette mais d’un cahier vierge. Je fais tourner les pages plusieurs fois, je n’en crois pas mes yeux. Je vais pour refermer ce cahier lorsque je tombe sur la page intérieure de la couverture. Je reconnais son écriture.


« Grégoire,

Pourquoi avoir besoin de mon livre, tu te souviens de tout. Tu n’as plus besoin de moi, il faut te créer tes propres recettes.

Je t’aime,

Papé ! »

 

Une semaine après être rentré chez moi, ma mère m’a fait parvenir son livre. Il était rangé sur l’étagère, là où il a toujours été.

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